mercredi 9 mai 2018

"Oléogel" Des vessies pour des lanternes

Petit coup de ***

On voit fleurir un peu partout sur les blogs et pages FB dédiées aux cosmétiques HM des recettes "d'oléogel".
A l'origine, un pseudo gourou pour archi-débutant (que je ne citerais pas) avait partagé sa recette sous ce nom. Depuis, les débutants ne manquant pas, on retrouve partout cette pseudo base "d'oléogel".

Pour ceux à qui ça aurait échappé, il s'agirait d'un mélange composé majoritairement de gel d'aloé vera (autour de 70 à 90% généralement) auquel est ajouté une huile végétale (ou un mélange).

Il y a un certain engouement autour de ce produit, et là n'est pas le problème : "oléogel" est un terme qui existe et ces nouvelles "versions" n'en sont pas, et n'entrent pas dans la définition d'oléogel.
Pour un "oléogel", il faudrait que les huiles soient gélifiées et non qu'elles soient incorporées à un hydrogel" en tant qu'ingrédient minoritaire, ce qui donnerait au mieux un "émulgel".

Certains se demanderont "pourquoi elle chipote" ?

Tout simplement parce que les indications de l'une de ces trois formes sont différentes et que les ajouts à prescrire/éviter dans l'un ou l'autre cas ne sont pas les mêmes. Ainsi si on vous conseille d'ajouter tel pourcentage d'he dans un oléogel, il ne faudrait pas se tromper de formulation, le dosage à introduire ne serait pas le même que pour un hydrogel ou un émulgel, de même pour la stabilité ou l'absorption. La galénique étant à maîtriser autant que le vocabulaire ! :)
On lit des conseils qui doctement vous prescrivent d'utiliser tel dosage d'aloé pour un oléogel parfait, alors que ce n'en sera pas si vous employez une phase aqueuse )

Que diriez-vous si sur tous les blogs vous trouviez sous le nom de "savon" des formules de gel de lin ?? Dans cet exemple, on se rendrait vite compte de l'erreur mais pour celui du pseudo oléogel, la méconnaissance générale fait que l'erreur se propage et que même des artisans professionnels se laissent prendre.

Quel nom donneriez vous  ? "Aloégel" correspondrait mieux non ?

HM la mode des anti huile essentielle

Les huiles essentielles sont des ingrédients majeurs de l'aromathérapie mais aussi de la parfumerie et des cosmétiques ...

Aujourd'hui, une nouvelle mode dans les milieux HM semble décrier l'usage des he.

Voyons quelles sont les raisons invoquées :

1) "Les he sont des substances très actives et potentiellement nocives".

Il est vrai que les he sont des actifs concentrés et qu'il existe des contre indications, variables en fonction de la variété.
Pour toute substance active, il faut prendre en compte les indications et contre-indications, les précautions d'usage et de dosage. Il est donc important de se renseigner et si possible consulter un médecin, un pharmacien ou un aromathérapeute et de bien connaitre et respecter les mises en garde relatives à chaque produit

Mais c'est la balance bénéfice risque (propre à un produit en particulier, dans une indication particulière, avec un utilisateur en particulier) qu'il faut prendre en compte. exp : la prescription d'un médicament se fait pour soigner une pathologie en particulier, pour un patient donné.
Il ne viendrait pas à l'esprit de croire qu'un médicament qui nous à été prescrit dans un cas précis et qui nous aura soigné, sera la panacée pour tout et pour tout le monde.
A l'inverse, si un médicament est à éviter chez l'un (enfant, femme enceinte etc...), cela ne remet pas en cause son emploi de manière générale ni ses vertus curatives

2) "Elles peuvent contenir des allergènes."

Effectivement, bien des he contiennent des allergènes. Mais les allergies et intolérances sont innombrables. Il ne viendrait pas plus à l'esprit d'interdire l'aspirine ou la farine de blé, ni de planter des arbres ;)

Par ailleurs, il semblerait que les allergènes contenues ds les he soient moins nocifs que leurs versions synthétiques ou isolées* (voir lien ci-dessous)

3) "Bilan écologique déplorable"

On lit de plus en plus fréquemment cet argument, arguant que le rendement en he étant tellement faible que leur usage serait nocif pour l'environnement. (Effectivement, pour certaines plantes, une sur-exploitation a des effets écologiques déplorables, mais c'est vrai de certaines huiles végétales ou céréales, et c'est la sur-exploitation le problème et non le procédé d'extraction)

Il est vrai que le rendement peut sembler très faible (ce qui justifie le prix des he) mais il y a plusieurs aspects à prendre en compte avant de pouvoir arriver à cet argument :

- les he étant très actives, on les emploie à des dosages très faibles (un petit flacon de qqs millilitres peut durer des années avec un usage familial) , donc il faudrait tenir compte de la quantité de plante nécessaire en corrélation avec l'emploi/dosage qui en est fait.

- il faudrait également prendre en compte ce qu'on leur substitue (effectivement, si les he n'étaient remplacées par rien, il serait plus économique/écologique de ne plus s'en servir), mais en général qu'il s'agisse de fragrances synthétiques (pour l'usage des he en tant que parfum) ou de principes actifs (usage aromathérapie, détergence ou cosmétique)... A-t-on étudié et comparé les bilans écologiques de la production d'he d'une part et de celle de ces molécules issues majoritairement de la pétrochimie
d'autre part ? Il est loin d'être avéré que la production ou l'emploi d'he soit plus polluant ;)

- la valorisation des hydrolats qui sont de plus en plus populaires dans bien des domaines (cosmétique, alimentaire..) fait qu'il est erroné de ne prendre en compte que le rendement en he du procédé de distillation, les deux rendements (he + hy) sont à additionner

- bien des plantes distillées pour obtenir des he sont issues d'élagages/ coupes de bois, et ce sont des déchets qui sont valorisés. L'eau employée (entrainement vapeur) est valorisée (hy).
En outre, les ressources sont renouvelables, ce qui d'un point de vue écologique est très favorable ! :)

4) "Les he ne sont pas des parfums" / "Préférez les fragrances qui sont inoffensives, pour les cosmétiques comme pour les produits détergents" 

Les he sont toujours entrées dans la composition des parfums, à l'heure actuelle elles sont plutôt réservées à la parfumerie de luxe même si le regain du "naturel" fait qu'on les retrouve dans le secteur bio également.
Elles servent effectivement à parfumer, et si on a recours à des produits de synthèse, c'est d'une part que leur coût n'est pas à l'avantage des he, et d'autre part que la parfumerie de synthèse a élargi le champs des possibles avec de nouvelles senteurs (fleurs muettes par exemple, notes marines - calone etc...).

Si les he peuvent contenir des allergènes ou présenter une certaine toxicité, cela est également vrai des fragrances qui contiennent les mêmes molécules aromatiques (donc les mêmes risques) + d'autres qu'on ne retrouve pas dans les he (et qui présentent bien, contrairement à cette nouvelle idée reçue, les risques d'allergie, de neurotoxicité, cancérigène ou de perturbateur endocrinien (exp lilial, composés musqués synthétiques etc..).
De plus bien des fragrances contiennent des he et/ou des fractions d'he sans qu'il n'en soit fait mention : utiliser des fragrances revient parfois à employer des he sans le savoir, et donc sans être en mesure de pendre les précautions qui seraient d'usage si c'était en connaissance de cause

Pour minimiser les risques, la première question à se poser est donc de savoir s'il est utile ou non de parfumer tel produit, plutôt que de se demander quel agent parfumant employer. Le dosage est également à remettre en question : A quoi bon parfumer les fesses de bébé à la rose ? A quoi sert d'embaumer la pièce ? Où et quand appliquer du "parfum" ?

L'avantage des fragrances est de pouvoir les employer dans presque toutes les conditions (en plus de l'avantage prix de revient) : elles tiennent malgré le pH basique des savons, moins de risque de destabiliser/liquéfier certains produits...

L'avantage des he en parfumerie : c'est qu'en plus du rôle de parfum elles apportent leurs vertus, si l'emploi est fait de manière avertie. D'autre part, on connait leur composition complète (contrairement aux fragrances qui sont les seuls ingrédients dont on n'a pas la composition), leurs indications et contre-indication.

Choisir d'utiliser les fragrances ou les he pour parfumer devrait se faire selon le type de produit, ses contraintes, le site et la fréquence d'application, et le destinataire final : au cas par cas et non en raison de l'adhésion dogmatique à un camp ("pro fragrance" vs "pro he")

Dans les produits détergents, les he parfumeront, et si elles sont bien choisies, participeront à l'efficacité du produit (antifongique, antimicrobien,  bactéricide etc...)

Enfin je déplore cet effet de mode, qui fait reprendre à bon nombre les mêmes arguments bêtement répétés, que ce soit pour promouvoir ou décrier un ingrédient (ou type d'ingrédients), la réalité n'est pas binaire.

Quand on souhaite réaliser des cosmétiques, si la mise en œuvre est relativement simple, il y a un minimum de connaissances à avoir pour une pratique éclairée, judicieuse et sans danger.

Soyez curieux  et ne vous contentez pas des conseils et avis péremptoires, faites vos propres recherches ;)

* Lien à lire  :
https://blog.laveritesurlescosmetiques.com/parfums-substances-problematiques-risques-dallergies/